En avril 1962, à l’église Sainte-Croix à Cracovie, Monseigneur Wojtyla prêche une retraite aux artistes, intitulée l’Evangile et l’Art. Il y exprime sa vision du monde créé, du rôle de la beauté, de son lien avec Dieu et avec l’art.
« Tout ce qui est contenu dans la notion de beauté est contenu en Dieu. Les créatures – les œuvres de la nature, les œuvres de l’homme, les œuvres d’art – contiennent seulement une lueur, un reflet, un fragment – si l’on peut dire, de la beauté. La beauté est contenue en elles. Cette beauté est dispersée dans le monde visible en abondance, en surabondance. Mais justement, dans cette dispersion, la beauté (…) n’est pas la beauté absolue. Dieu seul est la Beauté absolue. (…)
Une sensibilité particulière à la beauté existe dans l’âme. Comme une corde qui vibre, quand l’homme touche la beauté. La beauté nous émerveille et nous attire. Cette attraction nous indique que la beauté cache derrière elle quelque chose de plus. (…)
Si la beauté dans toutes les créatures, dans toutes les œuvres d’art n’est qu’un fragment, quelque chose de partiel, un signe, une lueur, et qu’elle n’est nulle part ni pleine ni absolue, cela veut dire qu’il faut chercher la Beauté en dehors des créatures. Ainsi nous trouvons la piste conduisant à la constatation que Dieu est, que la Beauté absolue et parfaite, c’est bien Lui.
Cette rencontre avec le Dieu de l’Evangile à travers l’art a encore un sens plus profond. Les artistes, les créateurs ne se sont pas laissé émerveiller uniquement par le Christ – par le Christ en tant qu’homme vivant. Chaque geste, chaque parole, chaque dialogue du Christ dans l’Evangile constitue un élément d’une grande œuvre de Dieu, de son œuvre de Rédemption. Non seulement Dieu est, mais Il est agissant. Il est agissant dans ce qu’Il crée. Il est agissant spécialement pour l’homme. Il est agissant dans son œuvre de salut pour l’homme. Il nous rachète. Voici le Dieu de l’Evangile – et ce Dieu est beau. Il est infiniment beau. Et Il a une infinie puissance de parler à l’homme, d’éveiller chez lui des inspirations.
Mais si l’artiste a besoin du Dieu de l’Evangile comme source d’inspiration créatrice et artistique, c’est en tant qu’homme surtout qu’il a besoin du Dieu de l’Evangile. » (OEU EA)
Dans la même retraite, il donne des conseils sur la vie chrétienne :
« On dit parfois que Dieu écrit ses mystères simples et grands sur les chemins sinueux de la vie humaine. Qu’Il écrit droit en utilisant des courbes. C’est pourquoi nous pouvons dire que Dieu vient à l’homme par des chemins tortueux. Non parce que c’est sa façon de marcher, mais parce que c’est la nôtre et que Dieu veut nous atteindre. Pour nous rencontrer, Il empreinte nos chemins tortueux, Il accepte toutes les courbes et les complications que nous introduisons dans notre relation avec Lui. Une fois que l’homme commence à vivre la religion non plus de façon imparfaite – selon sa seule perspective, comme une sorte d’obligation, de devoir supplémentaire qui lui pèse – mais pleinement, c’est-à-dire en la voyant selon la perspective de Dieu, un retournement intérieur fondamental, une transformation s’opère en lui. Le monde change ! Le monde prend un sens nouveau ! Et dans ce monde, ma place change aussi, elle prend un sens nouveau. Tant que je me prends pour le point de départ, pour le sujet à qui incombent des devoirs, des fardeaux, je ne perçois pas le sens de mon existence. Mais à partir du moment où j’ai le sentiment ou la conviction d’être aimé, d’être recherché par Quelqu’un qui veut me trouver, qui vient au-devant de moi et qu’il s’agit bien de Dieu Lui-même, un retournement fondamental, une transformation s’opère en moi. Voilà le fruit de l’Evangile (…).
La prière est la façon élémentaire, fondamentale de rencontrer le Dieu vivant, d’expérimenter la rencontre avec Dieu. C’est pourquoi le Christ a dit quelque chose qui semble un peu énigmatique : il faut prier sans cesse et ne pas se décourager (voir Lc 18,1). (…) Qu’est-ce que cela veut dire : « sans cesse » ? Je suis tellement occupé. Je ne suis pas seulement occupé, je suis préoccupé par d’autres choses. Comment puis-je prier sans cesse ?
Nous pouvons considérer ces paroles du Christ comme une exigence impossible à réaliser. Nous pouvons aussi essayer de la réaliser et alors il s’avère que tout devient prière – que tout peut devenir prière. En vérité, toutes les choses prient. Quand l’homme réfléchit à cette parole du Christ, il commence à découvrir que toutes les choses prient. La nature prie, du fait même de son existence ; les œuvres de main humaine prient, même si leur prière est indirecte ; la nature humaine prie aussi. La prière de toutes les choses reste non explicitée ! Elle reste non formulée. Il faut que l’homme la formule au moment où il entre en contact avec la matière. Nous saisissons de quoi il s’agit. Une fois que nous le saisissons, nous découvrons la présence de Dieu partout ; et alors l’exigence du Christ nous devient proche. Nous commençons à prier à travers tout. Il n’y a plus de situation dans notre vie, plus d’occupation, plus d’effort qui ne puisse devenir prière. » (OEU EA)
Références :
Jean Paul II – Témoin d’espérance, George Weigel, Editions Jean-Claude Lattès, 2005
OEU EA : L’Evangile et l’Art, Editions Salvator, 2012
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