Karol continue à travailler et va servir la Messe à l’archevêché, pour Monseigneur Sapieha, aussi souvent qu’il le peut. Un jour, un autre compagnon séminariste ne vient pas comme d’habitude à la Messe, alors Karol part le voir chez lui pour savoir ce qu’il se passe. Il a été arrêté dans la nuit par la Gestapo et son nom apparaît sur une affiche de la Gestapo le matin-même, listant le nom des Polonais à exécuter.
Karol sait qu’il vit dangereusement, mais cela ne le perturbe pas : il est convaincu de faire la volonté de Dieu. Il prie, travaille et étudie. Il réussit tous ses examens dans les délais prévus.
Il continue aussi à écrire, comme « Chant du Dieu caché », premier poème qu’il publie, anonymement, dans une revue du Carmel. C’est une poésie hautement contemplative, étroitement liée à son désir de rentrer au Carmel et à l’admiration qu’il porte aux mystiques espagnols, dont le carmélitain Saint Jean de la Croix, qui exprime sa relation avec Dieu en vers. Ici, Karol dévoile sa conversation pleine d’amour, d’admiration et de révérence avec Dieu, caché en lui-même, dans les beautés de la nature et dans l’Eucharistie. Il écrit en vers courts et mélodieux, comme un chant, difficilement transcriptibles dans une traduction.
« (…) regarde en toi. Voici l’Ami
qui est seulement une étincelle, et pourtant Il est la Lumière toute entière.
En accueillant en toi cette étincelle
tu n’aperçois rien d’autre,
et tu ne sens pas de quel Amour tu es enveloppé.
L’amour m’a tout expliqué,
l’amour a tout résolu pour moi –
pour cette raison j’admire cet Amour
où qu’il se trouve. (…)
Il se penche doucement, plein de fraîcheur et en même temps de chaleur
c’est une silencieuse réciprocité.
Pris dans cette étreinte – comme une caresse sur le visage
après laquelle il y a stupeur et silence, silence sans mot
sans rien comprendre ou équilibrer
dans ce silence je sens, au-dessus de moi, Dieu se pencher.
Le Seigneur, quand Il s’enracine au plus profond est comme une fleur
assoiffée de soleil chaud. (…)
Je t’aime, foin odorant, parce que je ne trouve pas en toi
l’orgueil des épis mûrs.
Je t’aime, foin odorant, parce que tu as bercé en toi
un Enfant pieds nus.
Je t’aime, arbre rigoureux, parce que je n’entends pas de lamentation
de tes feuilles tombées.
Je t’aime, arbre rigoureux, qui cacha Ses épaules
sous les grappes de sang.
Je t’aime, pâle lumière du pain de froment
dans laquelle l’éternité demeure un instant,
rejoignant notre rive
par des chemins cachés.
Dieu vint jusqu’ici, Il s’arrêta à un pas du vide,
tout près de nos yeux.
Et Il apparut aux cœurs ouverts, et Il apparut aux cœurs simples,
perdu à l’ombre des épis.
Et quand pour les disciples avides s’égrenèrent les épis
Lui s’immergea encore plus dans le champ.
– Apprenez, bien-aimés, je vous en prie, cette cachette-là.
Là où Je me suis caché, là Je perdure. (…)
Dans un regard enfantin
concentré sur la suave Hostie
je rencontrai le Père Divin
qui avec immense amour me regardait.
Devant ce regard,
où était le monde entier
mes yeux tremblèrent
comme une fleur sans défense.
Le Fils disait : Voilà qu’est en train de se réaliser
le désir de notre amour
pour que les yeux de l’homme me regardent
pas affectés par le rayonnement.
Ô éclat ! Ô créatif regard
duquel surgit une nouvelle Création
beaucoup plus exubérante,
surgissent des mondes nouveaux en secret.
Oh, on ressent ce moment du néant
ce moment avant la création –
ne jamais s’en retirer,
comme on ne se retire pas de l’ombre.
Retourner toujours à ce temps
quand bercé seulement par Ta Pensée
j’eus en moi plus d’innocence qu’un enfant,
et une plus profonde transparence.
Aujourd’hui, étourdi par la vie
j’oublie ma nullité,
j’erre parmi les rayons lointains
arraché aux rayons plus simples.
Mais il suffit d’un regard en profondeur
que l’éternité dévoile du courant –
un simple regard
avec lequel je demeure à nouveau dans Ta Pensée –
Cela se produit quand – caché dans le rayonnement,
je concentre tout mon être,
et je deviens à nouveau Ta Pensée,
aimé par la blanche chaleur du Pain. (…)
Je T’en prie, garde-moi caché
dans un lieu inaccessible,
dans le courant d’une silencieuse merveille,
ou dans la nuit sombre.
Je T’en prie, protège-moi
Du côté qui plonge dans l’obscurité –
et je T’en prie, enlève le voile devant moi
du côté qui attire le regard (…)
Pour cette proximité que Te donner,
proximité que Tu enflammes avec une telle immensité,
comme le feu de joie,
comme le cœur qui reste en équilibre (…)
Ah, accueille, Seigneur, l’admiration qui jaillit de mon cœur
comme de la source jaillit un ruisseau (…). » (OEU TL)
Monseigneur Sapieha dissuade Karol de rentrer dans les ordres, l’encourageant à terminer les études qu’il a commencées au séminaire.
Références :
L’enfance de Jean-Paul II, Alain Vircondelet, Editions Artège, 2015
Jean Paul II – Témoin d’espérance, George Weigel, Editions Jean-Claude Lattès, 2005
OEU TL : Tutte le opere letterarie, Karol Wojtyla, Editrice Bompiani, 2001
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