Dramaturge

Karol le dramaturge

Karol a besoin de s’exprimer par l'écriture. Pour lui, c’est devenu comme respirer. C’est un artiste. Maintenant il est dramaturge.

Karol s’exprime par l’écriture de poèmes dramatiques : « David » en 1939 (perdu, mais dont il parle dans une lettre de 1939 comme d’un drame à trame biblique, au sujet de la Pologne), puis « Job » et « Jérémie » en 1940. Le 7 août, il écrit une lettre à Mieczyslaw Kotlarczyk, expliquant sa vision de l’écriture artistique : « Toute chose est œuvre de la Grâce, toute chose peut être œuvre de la Grâce ; nous devrions savoir comment coopérer au-delà de toute faiblesse. Comme nous l’enseigne la parabole des talents. Et bien, je crois que nous pouvons répondre à la Grâce avec l’Humilité. Ainsi, dans cette dimension, la lutte pour la Poésie sera une lutte pour l’Humilité. » (OEU TL)

Dans « Job », écrit pendant le Carême de 1940, il s’inspire du personnage biblique du même nom, homme juste à qui une avalanche de malheurs arrive et qui essaie de comprendre pourquoi et de faire face sans s’en prendre à Dieu. Ce drame est une réflexion sur la souffrance, en ce début de deuxième guerre mondiale, qui est le « temps de Job, pour la Pologne et le monde » (OEU TL).

« Quand le Seigneur appela les Principautés
devant la Majesté de Son Trône
se mit au milieu d’eux celui qui avait été chassé
et il commença à tenter le Seigneur :
Donne-moi Job – Donne-moi Job
il T’honore parce qu’il T’est agréable,
parce que des milliers de bœufs marchent sous son joug,
parce que ses champs reverdissent chaque année,
parce que Tu as multiplié sa descendance en lui donnant des fils
et des filles très belles que Tu as maintenues en santé,
c’est pour cela qu’il T’honore – Donne-moi Job,
pour que je puisse prouver comme se brise l’acier
quand je le frapperai avec le marteau, quand je l’accablerai de la maladie,
quand je détruirai ses richesses, et lui restera seul
seul comme un misérable il sera assis dans sa demeure
au milieu les cendres – Un manteau en tissu écarlate,
un sac de pénitence… Donne-moi Job,
et Tu verras Toi-même si lui se relèvera.
Quand le Seigneur appela les Principautés
devant la Majesté de Son Trône
Il permit que le juste fût mis à l’épreuve,
Il livra cet homme droit au pouvoir du Réprouvé. » (OEU TL)

Alors en quelques heures Job perd tout, ses biens, ses enfants, ses amis. Il reste seul, en proie à une souffrance indescriptible : « aujourd’hui mon âme hurle en moi » (OEU TL). Puis, pensant à Dieu, il s’exprime ainsi :

« Moi, je suis droit, et alors ? – oui, je le suis, et alors ?
Je me disputerai peut-être avec Lui,
quand Lui traite de manière égale l’innocent
et le pécheur. Regardez seulement
ils marchent heureux, ils se multiplient,
dans l’abondance, dans les richesses.
Sienne est la Volonté, Siens les biens.
Je me disputerai peut-être avec Lui ?
Je ne peux pas Le mettre en cause,
L’effroi et la terreur me font trembler les os
Seulement pitié… seulement miséricorde…
si au moins Il dévoilait le mystère
du pourquoi Il punit pareillement un mauvais
et un bon, Il les jette dans la douleur
Seulement pitié… le mystère…
Quand sera-t-il démêlé,
s’il le sera jamais ? (…)

Moi, je suis juste, Yahvé. Fais
ce pour quoi je T’implore, donne la lumière
à l’âme déchirée par le supplice.
Moi, je ne souhaite pas la discorde avec Toi
Seulement pitié, seulement miséricorde…
Moi, je sais que Tu le feras – je sais qu’elle descendra
à mon chevet, vers le grabat
d’où je crie dans la misère et l’abjection.
J’ai imploré les étrangers – et ils m’ont maudit,
je cherchais les hommes – et ils se sont éloignés
et la douleur brûle toujours plus
Si ce ne sont pas les hommes – que ce soient alors les anges
que ce soit un autre juge qui vienne ici. » (OEU TL)

Survient alors Eliu, jeune prophète, qui parle d’une vision :

« (…) je vois – moi, je vois… Tu l’as permis
Le Juste est traîné par la foule
et la plèbe hurle, la racaille presse
Voilà, ils sont en train de traîner le Juste
en jugement – Tu l’as permis
Tu enverras Celui qui fera l’arbitre
Tu enverras Celui qui dans le champ
sèmera le grain destiné à germer.
Voilà, je vois – elle Le traîne – la canaille,
Pourquoi L’as-Tu dépouillé de Sa robe claire ?
Pourquoi L’as-Tu humilié – ô Père Eternel ?
Voilà, Tu envoies le Messie,
voilà, Celui qui sera Juge.
Où L’emmènent-ils ? Comme un agneau,
comme un agneau au sacrifice
et Il est sacrifié par Ta Volonté,
Il est sacrifié, Celui qui marche
avec des rameaux de palmier et se déplace sur une ânesse
voilà qu’ils L’emmènent chez le magistrat,
au tribunal… Toi, Tu le permets ?
Ne l’as-Tu pas envoyé – le Messie,
Ne l’as-Tu pas envoyé pour qu’Il mette
la pierre d’angle – pour qu’Il révèle
Maintenant le poids Lui écrase les épaules
je vois – c’est sur moi que tombe ce poids
Je ne le soulèverai, Seigneur – Epargne-moi, Seigneur.
Toi qui ainsi mets à l’épreuve, ainsi écrases –
et pourtant Il est à Toi, c’est Ton Bien-Aimé –
et pourtant Il doit souffrir de cette façon, Seigneur – pourquoi ?
Il marche – et la route est escarpée,
Il marche – et le poids Lui courbe le dos,
là, vers le haut… moi, je marche avec Lui
moi, je vois… moi, je porte avec Lui… je n’y arriverai pas.
Lui sera le Fils du Très-Haut
Son signe est le signe du Messie
Son signe est le signe du supplice, du supplice
Le Flagellateur marche flagellé,
Le Roi marche en écarlate – sur cette montagne
où Tu m’ordonnes de marcher par l’esprit,
où Tu m’as saisi et où Tu m’emmènes,
et Tu me permets de voir – ô, Eternel
et de le raconter à Ton peuple,
à Ton peuple raconter
comme Il souffre Ton Fils, Ton Elu
Là m’emmènent mes yeux où Il jugera,
là ils m’emmènent où Il règlera
Tes causes, et celles de Ton peuple
et elles seront jugées pour les siècles
et unies dans la Loi sainte

Lui est le Libérateur – regarde : Il souffre. (…)

Je vois à travers les siècles – ceci je vous annonce
vous qui souffrez, vous Jobs
Je projette mon âme prophétique à travers les siècles,
de la Douleur s’élève la Loi Nouvelle. (…)
Vous qui êtes soumis à l’épreuve,
Vous qui êtes affligés par un fardeau
que vos épaules ne peuvent supporter,
auxquels vos épaules ne peuvent résister,
vous dont les bras manquent de force,
vous dont les mains tombent d’épuisement
Regardez – le temps d’épreuve
Regardez – le temps de Job
vous, bafoués,
condamnés aux travaux forcés – vous
Jobs – Jobs.
Regardez – il est fermé le cercle du sacrifice
où retentit la Parole du Seigneur,
où les événements du Testament
prirent un corps vivant
où il y eut la parabole, l’histoire,
et – comme dans la douleur de nos jours
se préparait un lendemain meilleur.
Emportez ces paroles avec vous dans la bourrasque,
emportez ces paroles contre la tempête
emportez-les quand descendent sur vous les ténèbres
emportez-les comme un éclair silencieux,
qui apparaît au-dessus de Job (…)
et Il envoya Son Fils
et le Fils de Dieu posa les fondements
de Sa Loi Nouvelle
faite de sacrifice, de douleur, de tourment,
Voici la douleur qui forme les bases
voici la douleur qui transforme
et qui imprime la Loi Nouvelle dans les cœurs,
comme en un nouveau jour de la création
Ainsi passent les vagues divines,
et l’une renverse – l’autre exalte
Regardez la vague – Regardez la vague
Aujourd’hui, frère, élève ton cœur. (…)
Souvenez-vous.
Et quand vous rencontrerez quelqu’un
qui se morfond
a le cœur désespéré, brisé
et le visage craintif,
Racontez-lui
comment :
le Seigneur a redonné à Job sa prospérité
et Il lui a donné tout bien,
le double de tout ce qu’il avait avant. » (OEU TL)


Références :
OEU TL : Tutte le opere letterarie, Karol Wojtyla, Editrice Bompiani, 2001

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